Du plantain sur les chemins
Combien de fois le foule-t-on au pied sans y prêter attention ?
C’est une petite herbe commune, qui prend ses aises sur les chemins et autres terrains incultes, tout en essayant de se faire discrète. Ainsi le plantain, puisqu’il s’agit de lui, est souvent le dernier à pousser sur les sols compactés, incroyablement endurant au piétinement, ses rosettes de feuilles épaisses plaquées au sol.
Sa résistance lui vient d’une certaine élasticité de ses tissus qui ainsi plient sous les pas du promeneur tout comme sous les roues du tracteur mais ne rompent pas.
Pour mieux comprendre tous les mécanismes en jeu, il faut également s’intéresser à son mode de croissance, en particulier sous terre, à l’abri de nos regards.
Francis Hallé dans un ouvrage passionnant sur l’architecture des plantes nous indique que les plantains dont Plantago major, P. coronopus, P. lanceolata, et P. media, sont tous des représentants du modèle de Corner. Un mode de croissance qui concerne beaucoup d’arbustes et petits arbres des sous-bois tropicaux. Un modèle monocole (un seul axe) avec une sexualité latérale et de ce fait une croissance indéfinie comme les cycas, certains palmiers colonnaires. Le botaniste nous apprend que ce modèle est susceptible d’être miniaturisé et concerner également des herbes des régions tempérées telles que les plantains qu’il qualifie « d’herbes modernes ». Ces derniers, écrit-il, résulteraient de l’enfouissement de l’axe par les racines tractrices, outre la diminution des dimensions et des durées de vie ayant accompagné l’extension des flores depuis les tropiques jusqu’aux latitudes à hivers froids (HALLE, F., 2017).
Le plantain se protège donc de nos piétinements en s’enfonçant dans le sol toujours un peu plus profondément. Ce dont résulte un axe épaissi, enterré, juste en dessous de la rosette de feuille.
Son nom latin, Plantago, raconte déjà cette histoire ! « Plant-ago », littéralement « qui pousse sous la plante des pieds ».
L’adaptation aux chemins de ce « White man’s foot » ne réside pas uniquement dans ces stratégies d’enfouissement et d’élasticité. Leurs graines, avec un tégument qui par temps humide peut absorber jusqu’à 25 fois son poids d’eau et devenir ainsi visqueux, y participent également. De la sorte non seulement les plantains sont résistants au piétinement, mais encore profitent-ils de tous les passages pour disséminer leurs graines en les collant aux semelles. Aux Etats-Unis les plantains européens sont connus pour être les premières plantes à s’être installées là où l’homme blanc est passé.
Une plante qui agit
Au-delà de tous ces caractères que l’on pourrait dire « adaptatifs », Plantago est aussi une plante qui agit ! En effet, ses tissus recèlent de nombreuses propriétés. On peut même affirmer que ce sont des plantes aux vertus exceptionnelles, tant médicinales que gustatives !
Les plantains sont une des composantes majeures des médecines traditionnelles. Pour Pline l’ancien ils soignaient plus de 24 affections. Leurs feuilles, appliquées mâchées en cataplasme, sont réputées guérir toutes les plaies et piqures d’insectes grâce à des propriétés adoucissantes, anti-inflammatoires et cicatrisantes. C’est le sparadrap de la campagne ! On dit même que les bergers en mettaient autrefois dans leurs chaussures pour soigner leurs ampoules …
Les graines, du fait de leur enveloppe mucilagineuse, produisent un gel adoucissant entrant dans la composition de produits laxatifs et amaigrissants. En décoctions elles ont des propriétés ophtalmiques.
Dans un autre domaine, les propriétés des graines de plantain, en particulier le plantain des sables, Plantago scabra, furent également employées pour « gommer » des tissus comme la mousseline, afin que la couleur ait plus de corps et que les fibres se tiennent mieux (ARMA, R., non daté).
Le grand plantain (Plantago major) une plante magique ?
- En Provence, on raconte qu’un jour le diable ayant voulu le détruire en mordant sa racine, c’est Marie qui vint au secours du grand plantain en créant cinq grosses nervures dans ses feuilles afin de faciliter la circulation de la sève.
- Dans les diligences anglaises, on accrochait jadis aux portes quelques touffes de plantain pour que le voyage se passe bien.
- Dans les bergeries, pendu au plafond tête en bas, il protège le troupeau.
- On croyait qu’il protégeait des morsures de serpent en épinglant quelques sommités fleuries au bas du pantalon. (ARMA, R., non daté).
Des plantes comestibles
Certains plantains, comme le Plantain corne de cerf (Plantago coronopus) ou le Plantain lancéolé (Plantago lanceolata) par exemple, sont comestibles. Ils étaient autrefois cultivés dans les jardins vivriers. Ils sont cités comme plantes potagères dès le XVIème siècle mais le XIXe siècle marquera leur disparition des jardins tout comme l’arroche, le chardon marie, l’ortie, la salicorne, le crithme marin, le pourpier, le maceron… Autant d’espèces qui furent délaissées et sont désormais reléguées en bord de chemin, souvent traitées de « mauvaises herbes ».
Leurs feuilles au petit goût de champignon, étaient accommodées différemment selon qu’elles étaient à un stade juvénile ou plus avancé dans la saison. Jeunes, elles pouvaient être mangées crues ; plus vieilles, elles se cuisinaient comme des épinards, mangées en omelette, en bourbouillade, en pesto ou encore en risotto.
Sans parler de toutes les autres parties de la plante (inflorescences encore en bouton, graines au gout de noisette) consommées en beignets ou préparées au vinaigre pour les unes, parsemées sur les salades pour les autres.
Zoom sur l’hétérophyllie du plantain corne de cerf (Plantago coronopus), ou pied de corneille.
Le Plantain corne de cerf doit son nom à la forme de ses feuilles divisées comme les bois d’un cerf. Des divisions qui peuvent également évoquer, avec un peu d’imagination, une patte de corneille. C’est ce que retient l’épithète coronopus, du grec koronê, « corneille » et pous, « pied ».
Inutile de recherche une forme stable de ses divisions pour tenter d’identifier l’espèce. Plantago coronopus est en effet une espèce sujette à une grande hétérophyllie. En 1804 déjà Lamarck notait que souvent la même espèce se présente sous un aspect si différent que si ces changements ne s’opéraient pas sous nos yeux, nous ne pourrions-nous déterminer à réunir en une seule espèce des formes si variées (…) (LAMARK, 1804).
P. coronopus est certainement l’espèce qui pose les problèmes les plus nombreux et les plus délicats, nous dit Gorenflot qui travaille sur la génétique des plantains. Aussi, Lamarck a-t-il encore écrit à son sujet : Cette plante est une des espèces du genre Plantago qui offrent le plus grand nombre de variétés, tellement qu’il serait impossible de les signaler. Nous nous sommes borné à présenter les plus frappantes, mais on conçoit qu’il doit y en avoir beaucoup d’intermédiaires qui les rapprochent à un tel point, que le caractère que nous leur assignons s’évanouit peu à peu.
De son coté, dans la monographie qu’il consacre à la famille des Plantaginaceae en 1845, Barneoud signale que de multiples formes de passage ont abusé des botanistes : Le Plantago coronopus de Linné est, dit-il, l’espèce la plus polymorphe du genre. La variation de ses feuilles, de son port, de son épi et de ses bractées va jusqu’à l’infini (BARNEOUD, 1845) (GORENFLOT, 2017).
Le genre Plantago
- Le genre Plantago, regroupe 200 espèces sur tout le globe. Il compose à lui seul la majorité des représentants de la famille des Plantaginaceae qui ne compte que trois genres répartis en 265 espèces.
- Fleurissant de juin à octobre, leur inflorescence en épi forment une petite massue, et n’ont aucun caractère attractif pour l’homme à priori.
- Les fleurs sont toutes petites, blanchâtres, hermaphrodytes ou simplement femelles en fonction des pieds (espèce gynodioïque).
- Les longues étamines qui jaillissent de l’épi signent une pollinisation par le vent (anémogamie).
- Les fruits sont des capsules déhiscentes. Elles libèrent les graines qui tombent au sol avant de poursuivre leur voyage au gré des passants.
- Les chardonnerets, entre-autres, sont friands de leurs graines et les chenilles de plusieurs papillons, notamment la Damier du plantain (Melitaea cinxia), ou encore l’écaille du plantain (Parasemia plantaginis) se nourrissent des feuilles du plantain lanceolé.
Bibliographie
- Arma, R., Usages divers des plantes non daté. https://www.robinarma.com/plantes/
- Barneoud, F. M., Monographie générale de la familles des Plantaginacées, Paris (1845).
- Hallé, F., Keller, R., Mais d’où viennent les plantes ? Actes sud 2019
- Gorenflot, R., Introgression naturelle intraspécifique chez Plantago coronopus L. Bull Soc. Bot. de France. Vol. 108, 1961. Pp. 294-306 | Published online: 10 Jul 2014. https://doi.org/10.1080/00378941.1961.10838032
- Lamarck J.B., Encyclopédie méthodique, 1804.
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